4 ans, 1 mois et 11 jours

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Un billet mille et une fois commencé dans ma tête, sous la douche, pendant une tétée ensommeillée avec ton petit frère, les yeux fermés sur le canapé, dans la rue le nez au vent… et jamais écrit. 

Accompli. 

C’est le sentiment que je garde en moi quand je repense à notre chemin, mon si grand. Un voyage de 4 ans, 1 mois et 11 jours, de notre rencontre un jour de canicule de juillet, à l’heure de l’apéro, jusqu’à un autre soir d’été, entre une histoire et un câlin.

Une longue parenthèse d’amour et de don de moi, de partage de toi, une histoire rien qu’à nous deux et qui m’est encore aujourd’hui difficile de partager.

Comme un bijou soigneusement caché dans un son écrin de satin, au fond du tiroir à chaussettes, et qu’on ne veut regarder que seul, à l’abri des regards, pour en profiter pleinement et ne pas être dérangé.

Notre allaitement.

Ce merveilleux cadeau qui tu m’as fait, que tu m’as permis de vivre – un cadeau réciproque bien sûr, qui m’a beaucoup coûté aussi, tellement en décalage avec la vie de tous les jours.

Un cadeau qui m’a ouvert les yeux et le coeur, a modelé ma façon d’être mère, a façonné notre relation, en la basant sur la confiance, le partage, l’amour.

Un cadeau qui m’a permis de découvrir, à 27 ans, que j’étais un mammifère, qui m’a redonné confiance en mon corps, m’a forcée à l’écouter, en t’écoutant lui parler, sans un seul mot, seulement des gestes, des besoins à rassasier. Prendre le temps d’être avec toi.

Un cadeau qui m’a rapprochée de moi-même, de toi bien sûr, de ton père aussi en nous aidant à ralentir notre rythme de vie, en nous recentrant sur notre cellule familiale.

Un cadeau qui m’a éloignée de certaines personnes, car dans une société si pressée, dans des histoires familiales clivées, un choix si naturel, ne l’est finalement pas.

Ce que notre allaitement nous a apporté, en amour, en complicité, en souvenirs tout doux et en socle de confiance, est inébranlable. Mais il a causé des séismes, et des incompréhensions.

Pourtant, nous l’avons vécu tout simplement, cet allaitement. Une tétée, puis deux, puis des milliers. Je n’ai pas commencé à allaiter un bambin, tu l’es devenu sans que j’y prenne garde, tout doucement, pendant ton sommeil.

Personne n’allaite tout à coup « un enfant de 4 ans », par magie, juste comme ça – il y a simplement 4 ans de vie, de relation et d’échange derrière cet instant trop vite jugé.

Chaque histoire est unique, la mienne, la nôtre l’est aussi. Nous avons navigué sans voir l’horizon, dans un brouillard sans information. Nous avons connu les obstacles, qu’ils soient appelés mastite, grève, crevasse, jugement, hospitalisation, désinformation…

Nous avons tenu la barre parce que c’était une évidence. Parce que finalement, ce « choix » que nous faisions tous les deux, chaque matin, de continuer l’aventure, n’en était pas un. Ou alors comme celui de juste continuer à vivre et à respirer. Le choix de ne pas arrêter, juste parce qu’on est bien.

Et puis tu as grandi, et je t’ai regardé, les yeux plein de fierté, constater avec philosophie que le lait ne sortait plus vraiment des tétées. Car peu à peu, dans un murmure que seul toi et moi entendions au creux de nos câlins, tu as oublié comment bouger ta langue, tes mâchoires, tes lèvres.

Tu as grandi. Sans heurt, sans brusquerie, sans substitut à notre relation. Tu as bu, à grandes gorgées, mon lait et mon amour pendant quatre années, et tu as été repu.

Ton réservoir était rempli, tellement rempli que tu as ri, et me disant que tu pensais ne plus avoir besoin de téter.

Depuis plus de quatre ans, je te faisais confiance. Pour me dire tes besoins, pour boire quand ton corps ou ton coeur le pensait nécessaire, pour manger ensuite, et continuer les tétées, pour choisir quand dormir ou te mettre à marcher.

Alors ce jour-là, je t’ai fait confiance aussi, je savais que tu avais raison. Je n’ai rien forcé, même si dans ma gorge quelque chose s’est noué.

C’est normal, cette peur de l’inconnu, cette page qui se tourne… je ne t’avais jamais connu autrement que dans cette relation d’allaitement, allais-je savoir comment t’aimer, et te montrer mon amour, sans cela ?

Je t’ai fait confiance et tu as dit au revoir à la tétée. Et bientôt, ta première dent de lait allait se mettre à bouger.

Et bien sûr, rien ne s’est arrêté – tu es mon amour, et tu le seras toujours.

Quand ton frère finissait de grandir en moi, j’ai senti le lait arriver.

Je l’ai attendu, je l’ai senti, et je l’ai célébré.

Car grâce à toi et à ces quatre années, je savais ce qui nous attendait, et j’avance toujours plus sereine sur ces chemins parfois tortueux de la parentalité.

Pour William, à l’aube de tes 6 ans

11 réponses à “4 ans, 1 mois et 11 jours

  1. 💜💜💜
    C’est si doux, vous m’avez fait pleurer ce matin 🙂
    Et vous avez tellement raison, on n’allaite pas un bambin, on allaite son bébé, qu’on ne voit pas grandir, et qui a besoin de boire, d’être rassuré, de tendresse…
    On nous apprend à l’école que l’homme est un mammifère, mais on l’oublie bien vite ensuite !

  2. Maman de bébé 2 depuis 6 jours (et Seinte pour la 2ème fois) c’est en sortant de ma douche, la brosse en dent en bouche que j’ai lu ton billet qui m’a fait pleurer tout le long, et même mes seins en ont versé quelques gouttes.
    Oh! Combien je te comprends…

  3. Tout est là… Comme je comprends la difficulté à publier cet article, cela fait des mois que j’ai envie de proposer un article pour ce blog parce que pour moi aussi la relation d’allaitement est précieuse et tellement riche en émotions et échanges et riche d’enseignements, et pourtant cela ne sort pas, tellement c’est précieux… Comme toi je découvre (comme vous nous découvrons en famille) la parentalité à travers l’allaitement, au jour le jour, en (se) faisant confiance et avec des doutes aussi… Alors pour l’instant je la vis, en espérant que la page se tournera de manière aussi fluide que pour toi, je reviendrai en témoigner, le moment venu…

  4. merci pour ce beau texte! merci pour ce partage! C’est exactement ce que j’ai vécu… ce que je vis… mon « bébé » à bientôt 2 ans… Un jour, il n’aura plus besoin de téter… Il grandi… c’est beau… ca me serre le coeur aussi!
    Merci!

  5. Pingback: J’allaite, tu allaites, nous allaitons | biboulov·

  6. magnifique merci ! mon fils aura 3 ans dans quelques semaines et je regarde aujourd’hui aussi le chemin : parfois j’ai pressé la fin, bousculé pour plus de « confort » mais à chaque fois je l’ai regretté car cela le rendait triste… aujourd’hui j’ai l’impression de freiner, pour profiter, pour vivre au ralenti ces moments qui seront un jour mes plus beaux souvenirs !

  7. C’est magnifique ce texte. Je me suis sentie tellement vide , triste quand mes 3 petits ont décidé qu’il était temps d’arrêter mais aussi heureuse pour eux, ils avaient choisit de s’arrêter et ça n’a pas été imposé. Que de belles histoires ces 3 allaitements.
    Mon souhait maintenant c’est que bébé 4 ne soit pas trop pressé de sortir et que seulement quand ce sera le moment il soit en bonne santé et qu’on puisse commencer une autre belle aventure d’allaitement et qu’il ou elle tête longtemps (au moins 2 ans)

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