Je ne parle plus allaitement

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Ca fait plusieurs mois que cette phrase me trotte dans la tête. Je la pèse, la balance d’une main à l’autre, je la range, la ressors, la prononce à demi-mots comme pour la goûter, est-ce que je dois rectifier l’assaisonnement, est-ce qu’elle sonne vrai, est-ce qu’elle est exagérée…

Je ne parle plus allaitement.

J’allaite, toujours, encore, choisissez l’adverbe qui vous sied. J’allaite.

Entre deux enfants, plus de 5 ans et demi d’allaitement, et chaque jour ce chiffre augmente, sans y compter, sans y penser.

J’allaite partout, tout le temps, si ça ne plait pas, je ne me cacherai pas, il reste environ 345 ° de champ visuel disponible pour ne pas être « gêné » ou « choqué » par mon sein peu visible et bien utilisé, et je ne suis pas responsable des associations d’idées farfelues qui peuvent se créer dans le cerveau des gens.

Et je le dis sans animosité, j’allaite, et ça ne vous regarde pas, j’allaite, je nourris mon enfant, que ce soit son estomac ou son coeur, et je ne demanderai pas la permission ni ne ferai jamais passer vos envies ou limites culturelles avant ses besoins physiques ou affectifs.

J’allaite, mais à moins de me connaître vraiment, de me voir le faire ou d’engager la conversation avec moi précisément à ce sujet en me posant des questions détaillées à ce sujet, c’est impossible de le savoir.

Et si tu allaites aussi, devant moi, ou à côté, je ne dirai rien.

Et si tu allaites, devant moi, et que tu me ressors les énormités que la puéricultrice de la PMI a dit, que le pédiatre aux posters Gallia a énoncé ou que ta belle-mère t’a appris, je ne dirai rien.

Je regarderai sûrement ailleurs d’un air absent et abrégerai ma visite ou changerai de conversation.

Je ne parle plus allaitement. Je n’ai plus l’énergie des débutants à qui un monde fabuleux s’ouvre et qui veulent à tout prix répandre la bonne parole. Je l’ai eu, il y a quelques années. Ce feu s’est éteint à force d’entendre « oui mais ma belle soeur m’a dit que ».

Je serai peut-être la belle soeur de quelqu’un un jour et cette personne écoutera ce que je pourrai dire, et ce que je dirai aura peut-être un peu de poids.

Je n’ai rien, ni diplôme en lactation humaine, ni adhésion à la LLL, juste ma passion, mes recherches, mes lectures, mes expériences. C’est peu, c’est beaucoup, je ne sais pas. Peu importe.

Je ne parle plus allaitement parce que j’utilise mon énergie autrement. Tu veux m’en parler ? Faire confiance en mes réponses ? Je suis là. Viens me poser une question, je serai toujours là, le jour, la nuit, le weekend et même les jours fériés.

Mais si tu dis une énormité sur un réseau social, je fermerai l’onglet. Si tu me parles de ta mère qui n’avait pas de lait et de cette tare familiale très triste, je ne répondrai pas. Plus.

Je suis usée de ces croyances qui semblent sans fin, et surtout hermétiques à toutes les preuves scientifiques ou explications censées qu’on puisse leur apporter.

« Oui mais moi c’est différent ». Non, un fait est un fait, ce qui est différent pour chacune, c’est la capacité à accueillir l’information, à l’accepter, l’assimiler.

Je peux faire la moitié du chemin en donnant l’information, je ne peux pas faire l’autre en acceptant ce que cette information implique, que ce soit une remise en cause, une « culpabilité », des regrets, une amertume…

Je le comprends, je l’accepte, mais je n’ai plus l’énergie pour cela. Alors j’allaite, partout, tout le temps, parce que la normalisation passe par l’exemple, et peut-être qu’un jour je retrouverai cette envie de contredire et de rectifier, et les risques que cela implique.

Car moi aussi je suis humaine, et entendre des absurdités pseudo-médicales sur un sujet qui me passionne tant, ce n’est vraiment pas facile. Mais je n’ai pas la clé, je n’ai pas la force, alors je regarde ailleurs, et j’allaite mes petits.

Et je demande pardon à ces enfants qui ne connaitront pas cela, car leur mère aura suivi de mauvais conseils, et que je n’aurais pas eu la force ou le talent pour lui faire entendre les miens.

10 réponses à “Je ne parle plus allaitement

  1. Merci pour ce très bel article. Il me semble que le plus important au final, c’est l’exemple. De toute manière, tu as bien raison, il ne sert à rien d’essayer de convaincre une personne qui ne souhaite pas être convaincu. Pour ma part, j’allaite aussi partout, cela ne me pose pas de problème, si des personnes sont dérangés, c’est leur problème. Mais je pense que la normalisation de l’allaitement passe par là.

  2. Je comprends, je partage, je n’allaite plus mais j’ai aussi arrêté de me battre contre ces idées répandues par un corps médical qui croit détenir la vérité….. Il est dommage d’en arriver là, mais l’énergie manque, et parfois même l’envie….

  3. Je ne débat plus car c’est souvent de l’énergie perdue.
    Mais quand on me pose d3s questions ou qu’on a besoin de conseils et qu’on me demande, je transmets ce que je sais.
    Je n’interviens plus lorsque mon avis ou mes conseils ne sont pas expressément demandes. Je me préserve !

  4. Merci pour ces mots qui résonnent si fort, et dans lesquels je me retrouve. Se battre contre des moulins à vent est épuisant, et Don Quichotte n’avait pas d’enfant (rapport à la fatigue, au nuits pourries, etc).

  5. Tout est dit, je suis au même point. Je ne fait que l’incarner comme la normalité, c’est tout, c’est énorme. Merci.

  6. Ton message me parle ! J’allaitais, j’allaite et j’allaiterai mais les seuls allaitement qui m’importent sont les miens. Je n’ai pas la fibre militante. C’est peut-être dommage…
    Je me fiche de savoir comment les autres nourrissent leurs bébés/bambins, je ne pose même pas la question. Toutefois si on me sollicite directement, je suis prête à informer, à aider du haut de la toute petite expérience de mes allaitements dits longs, si différents l’un de l’autre que je n’imagine pas que mes soucis et solutions soient forcément ceux des autres.
    En tous les cas, très joli texte

  7. merci pour ce partage!
    Tu a trouvé les mots qui ne sortent jamais a voie haute pour nous toutes ses maman aux allaitement long! Ton récit résonne vraiment en moi.
    Encore bravo

  8. Waouao! J’en reste bouche bee! La forme, le fond, tout y est! C’est non seulement si bien écrit et illustré que j’en suis rêveuse et admirative mais surtout, ce que tu dis… c’est comme si tu t’étais adressée directement à moment coeur! Mon petit gars a bientôt 2 ans, je l’allaite et cela nous comble tous les deux (tous les trois en fait, n’oublions pas papa!) Les autres, eh ben, je m’en fiche. Complet. Je ne sais pas qui tu es, si tu liras ça, mais aujourd’hui, alors qu’en tant qu’enseignante j’ai un regard assez critique sur les réseaux sociaux, je me dis que ceux-ci m’auront permis de te lire et j’en suis reconnaissante. Ravie d’avoir croisé « ton chemin », ne change rien et… j’aurais aimé avoir la chance de m’installer à côté de toi sur un banc et de te présenter mon poupon. Belle vie à vous!

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